Cereus, Reine de la nuit

Philomene Longpre, Cereus

CEREUS, Reine de la Nuit (2009-2013) Philomène Longpré. PHI Centre – Elektra, Montréal, 2013, Photo: Philomène Longpré

 

Description

Une sculpture faite d’une membrane réactive constitue à la fois l’écran de la vidéo et le cœur de Cereus. Suspendue
dans l’espace, la membrane vit, réagit et se transforme sous l’influence des changements qui surviennent
dans son environnement. Ainsi, la transformation même de l’espace se répercute sur Cereus.

Textes d’accompagnement de l’exposition

CEREUS | Installation sculpturale de Philomène Longpré
Cereus : Reine de la nuit
Guillaume Evrard

Il y a plus de deux cents ans, dans sa publication Species plantarum, le naturaliste suédois
Linnaeus décrivait pour la première fois Selenicereus grandiflorus. Aujourd’hui,
l’engagement artistique de Philomène Longpré actualise cet élan de l’humanité vers l’inconnu
et le mystérieux, pour explorer de nouvelles limites : artistiques, physiques, visuelles.
La fleur du Selenicereus grandiflorus s’épanouit dans la nuit, vanillée, colorée et
suave. Elle en devient la reine, blanche, éclatante, orange, citron, rose, attirante. Douce au
milieu des épines ; vivante dans l’étendue désertique. Le papillon sphinx relaie cette victoire
de la légèreté sur la gravité, attiré dans son vol nocturne par les parfums de la fleur
triomphante. Une reine éphémère, cependant, qui succombe rapidement à la pesanteur qui
nous tient tous attachés au sol qui la porte.

L’impérative contrainte du champ de pesanteur sur la condition humaine et son
environnement stimule Philomène Longpré. Son système vidéo interactif renouvelle
l’iconographie d’un thème qui a préoccupé l’humanité dès ses premiers jours, du mythe
icarien de l’Antiquité jusqu’au rêve de lévitation de l’artiste français Yves Klein.
Au XVIe siècle, Peter Bruegel l’ancien dépeint Icare rappelé à sa condition, sombrant
dans les eaux, ses ailes plumées, tandis que le berger avec ses moutons et le laboureur traçant
le sillon avec le lourd soc de sa charrue donnent au spectateur une leçon de modestie : la
pesanteur, inévitable. Par-delà les saisons – celles de l’homme et celles de l’univers, le grain
fécond germe dans le sillon, indifférent. Les relations entre corps et espace, la légèreté, le
vide, fascinent Klein, qui s’élance dans le vide, en 1960 : l’apesanteur, pensable.
L’audace du héros mythologique trouve son égal dans l’ambition technologique de
Philomène, aux prises avec les complexités programmatrices et techniques de son système
vidéo, labyrinthe conceptuel dont elle a dû résoudre les énigmes. La voile de l’embarcation de
Dédale, flottante, vibrante, se voit mystérieusement répliquée dans la membrane vidéo
interactive de Cereus.

Au-delà des limites artistiques et physiques, Cereus explore les limites visuelles de notre
société contemporaine, dans un esprit subversif lié au mouvement lettriste. Se réappropriant
message et média, Cereus interroge le rôle de l’écran, son fonctionnement et son objectif : estce
seulement une vitrine ? pour qui ? pour quoi ? est-ce une interface pour échanger, pour
communiquer ? quel contenu ? à quelles fins ?
Fidèle à la remise en cause lettriste du dispositif cinématographique, Philomène
Longpré prend des risques en redéfinissant les réponses à ces questions.
Dans l’actualité de l’oeuvre en action – plutôt qu’exposée, c’est le spectateur même qui
doit prendre des risques pour tirer pleinement parti du système. Interface numérique,
personnage virtuel, membrane robotique ou vidéo et sons abstraits élaborés à partir de prises
de sons réels enveloppent le spectateur, qui devient acteur par sa présence même. Les tiges de
Selenicereus grandiflorus se font mécanisme, câbles et tubes. Les pétales deviennent
membrane sensible. Reproduisant les mouvements de curiosité nocturne du papillon sphinx,
les spectateurs se font visiteurs, attirés par la lumineuse obscurité de Cereus.
Par la réplication du phénomène naturel qu’il permet, le système Cereus touche aux
limites de l’expérience visuelle. Le sphinx voit la fleur pour se l’approprier et agit pour en
transformer l’existence. Le spectateur voit le dispositif technique nécessaire au système
robotique et vidéo et s’immisce dans son épanouissement : l’oeuvre éclot sans distinction nette
et précise entre son être même et celui du spectateur disparu en elle, au-delà de la membrane
sensible, pour associer le visiteur à son développement organique.

Comme les peintres de la Renaissance et leurs successeurs recherchaient dans la technique la
possibilité de dépasser leur condition et de transcender le système représentationnel à leur
disposition, comme Klein étudiait la saturation de la couleur bleue pour parvenir à la
représentation d’un espace pur, Philomène Longpré élargit le champ des possibles. Après la
paroi, le panneau, la toile, les écrans de cinéma et de télévision, son système pourrait être
l’origine d’un nouveau support. Il offre une expérience multi-sensorielle qui s’appuie sur
l’utilisation spécifique d’une membrane sensible inédite, qui réagit aux mouvements du
personnage virtuel et des visiteurs grâce à un complexe ensemble de capteurs
tridimensionnels et de pistons réactifs.

Cereus défie les contraintes du champ de pesanteur terrestre, lorsqu’elle apparaît, entre ciel et
terre, entre vie et mort, entre lumière et obscurité.

Guillaume Evrard

Note bibliographique :
Historien de l’art, Guillaume Evrard a publié plusieurs articles sur les rapports entre arts
visuels, architecture, et politique, en particulier dans le contexte des expositions
internationales et universelles des XIXe et XXe siècles.

Technique

CEREUS, Reine de la nuit — Installation sculpturale
(Environnement immersif, membrane vidéo, sculpture robotique, narration interactive, interface numérique, projection vidéo, 
personnage virtuel et sons électroniques)

CEREUS, Reine de la nuit, est une installation sculpturale qui comprend une membrane vidéo qui constitue à la fois l’écran de la vidéo et le cœur du sytème interactif. Spécialement conçue pour répondre autant physiquement que conceptuellement aux images en mouvement, cette membrane est composée de 4 films plastiques laminés dont un film holographique. Ces films permettent non seulement de changer la physicalité de l’écran, de l’opacité à la transparence, mais aussi de capturer une image projetée lors de sa transparence. De plus, grâce à une structure contrôlée par un système pneumatique, l’écran peut aussi changer physiquement de forme. L’aspect performatif de ce projet est très important. Chaque élément de ce système fut choisi afin d’évoquer le sentiment d’apesanteur. Suspendue 
dans l’espace, la membrane vit, réagit et se transforme sous l’influence des changements qui surviennent 
dans son environnement. Ainsi, la transformation même de l’espace se répercute sur Cereus. 
Une fleur nocturne qui, pour prendre vie, a besoin d’être vue, regardée et approchée. Ce projet fut présenté au Centre PHI à Montréal, lors du festival ELEKTRA Anti/Matière en mai 2013.

Photothèque (cliquez pour agrandir)

Expositions

  • CEREUS, Reine de la nuit
    Centre PHI, Festival ELEKTRA. Montréal, Canada
    Commissaire: Christine Redfern
    Du 1 au 18 mai, 2013
  • Visualizing Media Futures Symposium
    Swarthmore College, PA, États-Unis
    Du 21 au 23 mars, 2013
  • CEREUS Système vidéo interactif
    Hexagram-Concordia, Black Box. Montréal, Canada
    Du 1 au 6 octobre, 2012

 

Publications